«Portrait de famille» met en scène le peintre entouré de sa femme, ses enfants, ses parents Beya Ben Saïd et Hédi Khayachi et ses beaux parents Hasseïna Khaznadar et Ismaïl Bey. La famille est donc au complet… Noureddine Khayachi, sa femme, ses deux filles, son fils et ses nombreuses toiles sont là pour témoigner de l’étendue des liens de parenté. En s’impliquant lui-même dans la toile, Noureddine Khayachi donne encore plus de force au tableau… Equilibre entre le nombre de personnes et le nombre de tableaux parfaitement lisibles. Khayachi pousse la difficulté jusqu’à peindre des châssis entoilés de dos et des toiles retournées contre le mur… Un petit bouquet superbe est reproduit. Ces toiles dans la toile et ces tableaux dans le tableau viennent renforcer l’image d’un artiste en pleine possession de ses moyens et qui ne craint pas la difficulté.
Taj El Molk pose devant son père qui semble être absorbé autant par le modèle que par sa reproduction. Les points de lumière, nombreux, viennent éclairer une chambre dont la fenêtre est fermée.
Cette vision intimiste du mystère pictural vient renforcer l’hypothèse selon laquelle il n’y a pas de rupture, chez Khayachi, entre l’engagement artistique et l’environnement familial l’un soutient l’autre… La peinture se nourrit de la famille et la famille s’affermit avec la peinture. Chacun découvre son identité en s’appuyant sur l’autre. Aucune dichotomie, aucun divorce, aucun hiatus… Khayachi a vécu la peinture dans la sérénité. La peinture, loin de le couper de son milieu familial, l’a encore plus conforté dans son rôle de «pater familias». Mieux encore, il crée à nouveau sur la toile les êtres chers qu’il a procréés. «Bonheur familial et bonheur pictural» devrait-on intituler cette toile qui caractérise le mieux l’extraordinaire équilibre trouvé par Khayachi entre la famille et la peinture.
Dans la toile « Portrait de Taj El Molk Bey» (épouse du prince Ismail Bey, fils de Ali Bey III), Khayachi honore le culte des ancêtres si cher aux Tunisiens. Mieux encore, il vient rappeler par ce tableau, que les maisons de Tunis étaient gouvernées non pas par les hommes mais par les femmes. Autoritaire et presque hautaine, Taj El Molk observe avec fierté l’artiste qui ose lui voler son portrait.
Ce portrait vient renforcer l’idée d’une Tunisie qui vit dans un système matriarcal… Le regard à la fois bienveillant et autoritaire en dit long sur la dynastie « gérontocratique » qui a régné longtemps sur la Tunisie traditionnelle. Le règne des grands-mères, de ces magnifiques grands-mères, a été très bien expliqué par Khayachi. Ces « maîtresses-femmes » qui gouvernaient la Tunisie depuis l’intérieur des maisons s’imposaient par leur savoir-faire culinaire, artisanal et narratif…
Elles étaient les garantes de l’harmonie, de la sagesse, de l’équilibre et de la cohésion du groupe. Les grands-mères étaient autant de reines rayonnant dans le royaume de Tunis de naguère et dont l’incontestable pouvoir est célébré avec éclat par Khayachi.
Un autoportrait, exécuté au crayon, exprime un Khayachi songeur… Le pédagogue et le chercheur s’opposant et se complétant. Un autre autoportrait montre un Khayachi beaucoup plus sensuel et plus ouvert aux choses de la vie… Entre le visage fermé et le visage ouvert, Khayachi exprime de façon admirable les deux facettes de sa personnalité. La double postulation vers la solitude et vers la communication trouve ici une continuité remarquable. Toujours la chose et son contraire, l’envers et l’endroit, l’un se nourrissant de l’autre, la peinture se nourrissant de la famille, la lumière de l’obscurité et la communication de la solitude. Décidément, Noureddine Khayachi a tout compris : et les mystères de la peinture, et les mystères de la vie… Il a compris que seule la peinture pouvait l’aider à affronter l’absurdité de la condition humaine et à lui donner un sens.
Dans cet autoportrait, on découvre un Khayachi âgé, s’apprêtant à affronter la vieillesse avec sérénité… Portant ses décorations avec humilité, il surgit de l’obscurité du tableau avec une belle et tranquille lumière éclairant son visage. Ses mains jointes viennent renforcer l’idée qu’il est prêt à accepter les volontés du destin avec la paix dans le cœur.
Noureddine Khayachi, au plus haut de sa forme, a dû mettre en scène les recettes les plus secrètes pour réaliser ces toiles prestigieuses. Quelle puissance et quelle force se dégagent de ces toiles dédiées aux anciens souverains de Tunis! On y retrouve non seulement le Khayachi lecteur de Le Titien, mais aussi le véritable professionnel des Beaux-Arts qui s’est nourri de la lumière des grands maîtres de la peinture occidentale et enfin le digne fils de son père. Il s’est dépassé en réalisant une magnifique série de Rois de la Dynastie Husseïnite allant de 1705 à 1957. Comment a-t-il pu loger son immense culture dans une étendue aussi réduite que celle de la toile?