KHAYACHI ET LE DESSIN
RÉALISATIONS

«En parfait initié de l’art du dessin, Noureddine Khayachi a dessiné jusqu’à adhérer intimement à la logique du trait.»

 

Saisir la vérité d’une oeuvre est la plus belle chose qui puisse arriver à un critique d’art. Il n’est pas difficile d’entrer dans l’univers de Noureddine Khayachi le peintre tant les codes d’accès sont nombreux et évidents, par contre on aura du mal à comprendre Khayachi le dessinateur dans la mesure où les éléments de compréhension sont rares sinon absents. Lorsque Noureddine Khayachi peint il est impliqué dans son oeuvre, tandis que dans le dessin il paraît être à la recherche de quelque chose qui échappe au sens et au langage…

 

Qu’est-ce qui fait la vérité d’une oeuvre et d’une vie?

Qu’est- ce qui compte le plus dans la vie: être soi- même ou bien aller vers l’autre?

 

Je me demande si Khayachi ne s’est pas placé volontairement dans le drame et dans l’âpreté même de l’origine du langage, sinon comment expliquer la fragilité volontaire du trait dont la précarité est disposée à aller jusqu’au renoncement et jusqu’à l’effacement? En tant que peintre, il a choisi la représentation de la réalité à l’aide d’une force remarquable, tandis que dans le dessin il met à nu la faiblesse du discours.

Le dessin se caractérise par la fragilité de son être, sa transparence, sa simplicité fondatrice et son dépouillement originel. Ainsi doit être le dessin et Khayachi l’a compris : simple tracé qui cerne le squelette de l’œuvre…. Sans emphase…..Une entrée modeste et humble dans l’univers du trait…. De l’art brut en somme….

Aucune projection de soi sur le dessin n’est envisagée. Écriture qui échappe à l’écriture, le dessin est la grammaire de la représentation. En parfait initié de l’art du dessin, Noureddine Khayachi a tracé sur chaque trait, la métaphysique du vide.

En écoutant attentivement Tej El Molk Khayachi Ghorbel qui se mobilise à l’aide d’un dévouement extrêmement émouvant pour la mise en valeur et la sauvegarde de l’œuvre de son père, on apprend que Khayachi dessinait au fusain toutes ses toiles. Il apparaît ainsi et sans équivoque que le dessin est l’architecture de la peinture.

Avec le dessin s’amorce une nouvelle piste pour découvrir un Noureddine Khayachi surprenant enjambant allègrement le créatif pour aller vers le récréatif, libérant ainsi les forces de l’imaginaire. Il a peint jusqu’à atteindre les sommets de la peinture et il a dessiné jusqu’à adhérer intimement à la logique du trait.

On découvre avec lui ce qu’il y a de plus profond dans le dessin : la surface. Quel prodigieux plasticien! On ne peut éluder une démarche comparatiste lorsqu’on est face à Noureddine Khayachi le peintre et Noureddine Khayachi le dessinateur : ces deux artistes se complètent en s’opposant.

La peinture révèle un Khayachi aux prises avec la création tandis que le dessin montre un Khayachi en pleine récréation.

Le dessin est l’origine et la peinture est le but. Du coup, le dessin prend le dessus sur la peinture en révélant les dessous d’un artiste, surprenant, audacieux, avant-gardiste. En adulte accompli, il ose réveiller l’enfant qui est en lui et fait du jeu l’enjeu de ses dessins.

Respectueux des règles, des usages et des traditions en peinture, il est irrespectueux des conventions dans le dessin.

Profondément Tunisien en peinture, il est universel dans le dessin. En peinture il est garant de l’identité, de l’authenticité et de la tunisianité. Il en est autrement dans le dessin où il a un dessein autre : il veut exprimer la solitude de l’être et l’âpreté de la condition humaine.

Tout se passe comme si pour exalter et explorer l’humanité tunisienne, Khayachi avait besoin de passer par une humanité sans visage, sans identité, sans corps et sans esprit. Le trait s’installe sur le papier sans provoquer ni tension ni pression et s’étale telle une impression fugitive trouvant son origine dans l’expression de l’instant.

 

Face au dessin, Khayachi a eu le génie de comprendre qu’il devait s’effacer pour explorer l’autre qui est en lui, son alter ego en quelque sorte. Le vide qu’il a fait volontairement en son être est parfaitement bien exprimé par le dessin. C’est là qu’est sa plus belle performance en tant que plasticien et en tant qu’homme.

Dans son trait, il y a la vérité de son portrait.