NOUREDDINE KHAYACHI
PROLOGUE

Vivre en harmonie parfaite avec les énergies qui nous habitent pour conduire nos identités multiples vers un réel épanouissement est un noble but qui a interpellé Noureddine Khayachi.

De la pratique de la peinture à celle du dessin, Khayachi a fait le tour des questions essentielles relatives aux arts plastiques.

Dans la peinture, il a fait l’expérience du plein et en dessin il a effectué l’expérience du vide. Il a ainsi vécu le yin et le yang de l’esprit des formes. Dans l’art du dessin, il a pris ses distances vis à vis de tout ce qu’il a engrangé comme respect des traditions, des conventions de la morale, du sérieux pour s’affirmer dans le prestige du discours.

A partir de la précarité du papier, il découvre un dialogue fertile aussi puissant que celui procuré par la majesté de la toile.

Autant le tableau oblige au respect des lois de compositions, des tons et des valeurs, autant le dessin offre davantage de disponibilité au délire de la création. Une création qui va de pair avec la récréation.

Il a obéi à ses pulsions faisant fi des tabous en exaltant le nu. Il convient de replacer Khayachi dans le contexte arabo-musulman d’une Tunisie traditionnelle qui ne pouvait ni cautionner, ni comprendre sa démarche plastique novatrice, avant-gardiste et audacieuse dans l’art du trait. Il habillait la femme en peinture pour la déshabiller en dessin.

Il affirmait haut et fort sa Tunisianité sur la toile pour vivre en dessin son dessein de plasticien. Il s’est gardé, de son vivant, de rendre publics ses dessins en faisant une pratique solitaire, secrète, et cachée. Ainsi, il pouvait donner libre cours à ses pulsions et dessiner en toute liberté un monde correspondant à sa recherche plastique.

Dans son aspiration légitime à la mise en scène de la beauté, il a renoncé aux femmes vêtues de fouta et de blouza pour explorer à volonté le corps féminin dans sa nudité originelle. On ne dira jamais assez comment une telle posture, sans doute inconfortable, confère à Khayachi une stature exceptionnelle. Ses dessins constituent la quête secrète d’une plasticité interdite qu’il a pratiquée en défiant l’ordre moral d’antan.

Ce qu’il y a de magique avec le dessin c’est qu’un coup de crayon peut tout dire et qu’un coup de gomme peut tout effacer.C’est dans la dialectique du coup de crayon et du coup de gomme que Khayachi s’est volontairement placé, tellement il était légitimement lassé du dogmatisme de la peinture et de l’omnipotence de la toile, du pinceau, des couleurs et de la palette.

Le dessin est à la peinture ce que le rythme est pour la musique. Et cela, Khayachi l’a parfaitement bien compris.

Déjà la peinture elle-même était frappée d’interdit par les ulémas (érudits) de naguère, imaginons le risque couru par Khayachi dans la représentation du nu, fut-il académique. Il a relevé le défi sachant au plus profond de lui-même qu’il ne pouvait devenir  un grand peintre sans passer par le dessin. Et pour devenir un dessinateur de qualité, il faut passer par l’étude de l’anatomie du corps humain et tout particulièrement le corps de la femme. Il n’y a pratiquement pas de nus masculins dans ses dessins.

La peinture nous livre un Khayachi imbu de sa Tunisianité et le dessin nous donne à vivre un Khayachi uniquement préoccupé par le mystère de la représentation. C’est là qu’est sa vérité profonde, réservée aux initiés et inaccessible aux profanes.

Il est réconfortant de constater qu’à un certain niveau le papier devient aussi noble que la toile et que le crayon est aussi puissant que le pinceau.

Avec Khayachi la peinture constitue la prose et le dessin la poésie.

A l’extrême opposé de cette expérience, il recherche en dessin l’essentiel. Tout se passe comme si Khayachi voulait atteindre en dessin un bonheur autre que celui procuré par la peinture.

Il voulait atteindre une plénitude d’être à travers la fragilité du dessin.

On dit que les meilleurs dessinateurs sont les architectes et les sculpteurs ; et les peintres alors? Les plus grands peintres, de Léonard de Vinci à Matisse, ont pratiqué le dessin comme une étape essentielle dans leur quête plastique.

Le génie plastique de Noureddine Khayachi n’a d’égal que sa stature humaine exceptionnelle. Et comment ne pas s’incliner devant la mémoire de cet homme qui a donné à la Tunisie une oeuvre remarquable dont la puissance plastique enrichit considérablement la Tunisianité.