«L’essentiel est de rester digne et d’établir des rapports avec les autres fondés sur l’honnêteté et le respect mutuel»
Noureddine KhayachiNé le 14 décembre 1917 à Tunis, il a hérité de son père Hédi Khayachi – pionnier de la peinture Tunisienne – l’amour de la peinture. Son séjour à Rome de 1958 à 1962 lui a permis de se doter d’une formation académique.
Khayachi a vécu quatre années séparé de son pays, de sa femme, de ses enfants, de ses amis et de toute la famille. Durant son séjour long et studieux à l’Académie des Beaux-Arts de Rome, il s’est armé de courage et de patience pour faire face à la peine engendrée par la séparation. Chaque déplacement était vécu à cette époque comme une épreuve âpre et difficile. Ce qui fit dire naguère à Noureddine Khayachi : «En allant vers de nouvelles contrées, le peintre emporte avec lui la douce image de son pays natal». Cela veut tout dire et explique pourquoi, dès son retour, il s’est mis à peindre la Tunisie de façon frénétique, voire obsessionnelle… La toile se présentait à ses yeux comme une surface de réparation. Il n’avait plus que l’alternative de peindre la Tunisie encore et encore pour effacer les outrages de la rupture et la cruauté de l’exil.
Son œuvre, riche en images, est une des plus belles pages de la Tunisie illustrée. Son génie plastique constitue un des piliers de l’espace pictural tunisien. Que lègue Noureddine Khayachi à ses héritiers ? Il laisse en héritage l’amour de la Tunisie… L’amour de la Tunisie est la seule certitude qui se dégage de son œuvre. Conduite très tendrement vers la toile avec ses enfants jouant dans le quartier, ses vieux récitant le Coran, ses vieilles préparant le couscous, ses belles jeunes filles se parant pour la fête, la Tunisie se donne à lui avec amour.
L’univers féminin, chez Khayachi, est le prolongement de l’univers maternel. C’est pourquoi il l’a abordé avec tendresse pour y trouver à la fois un refuge affectif et un générateur créatif.
Toutes ses toiles emplissent de bonheur car elles ont toutes participé à reconstruire l’âme de la Tunisie. On subit le charme de son œuvre avec volupté. Il s’est engagé dans la peinture avec sa vérité d’homme. Il n’a voulu ni la vendre, ni se vendre, ni la maquiller, ni se maquiller. Il a vécu sa passion de peindre comme une espérance qui nous est donnée pour échapper à la banalité et pour affirmer un idéal de grandeur. Khayachi a voulu rappeler aux Tunisiens qu’ils ne sont pas une «poussière d’individus» mais un peuple prestigieux riche de nobles traditions. Il a voulu restituer à la Tunisie sa grandeur et son prestige.
La rencontre avec l’œuvre de le Titien et à travers lui, de la peinture italienne de la Renaissance, a élevé Khayachi vers la recherche continuelle de la perfection. Son acharnement au travail cachait son insatisfaction et sa volonté farouche de donner à la toile tout son savoir-faire. A l’aide d’un extraordinaire talent, il ne s’est jamais lassé de peindre la Tunisie. Son amour allait en s’amplifiant…
Ayant fui la société mondaine et la fièvre de l’argent, Khayachi ne trouvait son équilibre qu’en chantant la Tunisie sur la toile. C’est ainsi qu’il a mis de la couleur dans sa vie et qu’il a donné vie à la toile. Il a pu vivre une éternelle jeunesse et concilier avec bonheur l’héritage de la Renaissance Italienne à l’univers, traditionnel de Tunisie.
L’art du portrait lui a permis de mettre en valeur les portraits des Rois Husseïnites de Tunis et les Rois d’Arabie Séoudite et de fixer sur la toile des moments importants de l’Histoire de la Tunisie et d’ailleurs… Il a été le maître du portrait. Il a excellé dans ses compositions dédiées aux rois et princes de Tunis.
Peu de peintres ont une palette aussi variée, aussi libre et en même temps soumise aux contraintes. Khayachi a osé être l’homme de toutes les humanités… Son âme généreuse ne s’est pas emprisonnée dans un seul type de discours pictural ; sa main a caressé avec tendresse le corps pluriel de la Tunisie : La Tunisie prestigieuse des palais, la Tunisie courtoise héroïque du Destour, la Tunisie simple des petites ruelles de la médina, la Tunisie noble des Mouachahat, la Tunisie laborieuse des métiers traditionnels, la Tunisie secrète des alchimistes, la Tunisie éternelle portée par l’absolu. La Tunisie, jusqu’à ses moindres détails, est peinte avec ferveur par Noureddine Khayachi. Il l’a sauvé de l’oubli en l’éternisant sur la toile à travers ses fêtes, ses traditions et ses coutumes.
De toute évidence, c’est un homme complet et comblé puisque la providence l’a doté d’une stature exceptionnelle. Il a eu un père hors du commun, une épouse merveilleuse et trois enfants dévoués.
Son père Hédi Khayachi lui a transmis le pouvoir de la représentation et ce n’est pas peu dire. En effet, il avait le don de s’emparer de la réalité dans sa totalité et dans sa plénitude à l’aide d’un sens remarquable de l’exactitude. Aucun détail ne lui échappait. Vigilant, il était parfaitement conscient de sa mission plastique et a su répondre avec ferveur à l’appel du tableau. Sa femme Fatma Ezzahra Bey l’a aidé tendrement en l’entourant de la citadelle de quiétude, de paix et de recueillement dont il avait besoin pour faire vivre la toile. Ne m’a-t-elle pas confié un jour un propos fort suggestif qui en dit long sur la complicité forte, sincère et intime les liant tous les deux : « Mon mari ne m’a pas appris à peindre, mais il m’a appris à regarder ». De même, comment ne pas être ému devant le dévouement sans borne deTej El Molk Khayachi Ghorbel qui ne ménage aucun effort afin de vivifier la noble mémoire de son regretté père en s’investissant pleinement dans la sauvegarde de son œuvre et dans le travail de recherche et de documentation. Je suis très sincèrement ému face à cet engagement permanent. Pour ma part je suis convaincu de la valeur historique de cet homme remarquable, lui exprime ma reconnaissance car il est, de toute évidence, un des piliers de la tunisianité.
Noureddine Khayachi fait partie des maîtres spirituels qui ont transmis l’amour de l’art à travers une vision d’ensemble englobant simultanément la quête esthétique et éthique. La recherche de la beauté est inséparable de la quête de la vertu. La pensée médiocre n’a jamais habité cet homme dont l’idéal moral guidait son action humaine, pédagogique et plastique.
Véritable éclaireur de l’espace pictural, il a pu loger l’âme profonde de la Tunisie dans son œuvre qui s’articule comme un véritable musée des coutumes et des traditions de notre pays. Il accouchait la Tunisie par son acharnement au travail, son culte de l’effort, et l’authenticité de son regard.
Puisse la Tunisie honorer tel il se doit la mémoire de cet artiste hors pair qui occupe une place incontournable dans l’histoire de la peinture tunisienne.